Imbert-Vier > Simon > Blog > Taxis d’Addis Abeba (2004)

Taxis d’Addis Abeba (2004)

A Addis Abeba, capitale de l’Éthiopie, les taxis sont indispensables à une partie importante des déplacements intra-urbains. Ils sont un des éléments des transports collectifs, dont l’autre partie est le réseau d’autobus.
Cette brève description est en quatre parties :
 une description des taxis eux-mêmes ;
 le fonctionnement des taxis à Addis Abeba depuis ma première visite en 1988 ;
 les personnes qui font fonctionner un taxi ;
 la réalité économique d’un taxi aujourd’hui.

Les taxis
Les taxis, toujours bleu et blanc, sont de trois types. D’abord les voitures normales. Au début des Fiat, et maintenant le plus souvent des Lada. Je ne suis pas un spécialiste mais certaines Fiat utilisées comme taxi sont de très anciens modèles. Je crois avoir reconnu des Fiat 1100 Ballila, fabriquées entre 1939 et 1953, des Fiat 1400, fabriquées entre 1950 et 1956, des Fiat 1200 fabriquées entre 1957 et 1960.
Ensuite des « wiyiyits », apparus dans les années 1970. Il s’agit de pick-up, le plus souvent Toyota mais on peut même voir quelques Peugeot 504, à l’arrière desquels sont installées des cabines pouvant accueillir une dizaine de personnes, alignées face à face parallèlement à la chaussée. Le nom Wiyiyit décrit d’ailleurs cette situation, il signifie à peu près « discussion ». En effet la position des passagers permettait des débats, souvent passionnés durant les années post-révolutionnaires. Dix passagers montent à l’arrière des wiyiyit, et un à l’avant, à côtê du chauffeur. Jusqu’en 2000 deux personnes montaient devant, mais une modification législative ou réglementaire a limité le nombre total de passagers à onze.

Un minibus

Enfin les minibus, apparus au début des années 1990. Ce sont des minibus standards, importés d’occasion, et aménagés. Les passagers sont assis face à la route. Deux montent à côté du chauffeur, et derrière se trouvent trois banquettes de deux places, et au fond une banquette de trois places. Jusqu’en 2000 quatre personnes s’entassaient sur la banquette arrière mais la même règle s’est appliquée concernant le nombre de voyageurs.

Un gari

Actuellement les minibus occupent les principales lignes, reléguant les wiyiyit sur les itinéraires secondaires. Ils sont en effet préférés du publics car un peu plus plus confortables, on y est moins serré. Revers de la médaille, ils sont aussi moins conviviaux. Ils seraient aussi plus rentables à l’exploitation.
Tous ces véhicules fonctionnent à l’essence, mais on commence à voir quelques minibus diesel.
Il existe enfin, bien sur, une quatrième sorte de taxi, que l’on ne trouve pas à Addis, mais dès Akaki (à la sortie est d’Addis) : le « gari ». En fait une cariole tirée par un cheval.

Utiliser les taxis
En 1988, quatorze ans après la révolution qui mit au pouvoir des militaires prosoviétiques, tous les taxis étaient collectifs. Que l’on prenne une voiture ou un wiyiyit, la seule différence était le nombre de passagers (4 dans une voiture, 12 dans un wiyiyit, en plus du chauffeur, et du woyala dans les wiyiyit).

Une station de taxi

La municipalité avait défini des itinéraires que les taxis étaient contraints de respecter, au moins jusqu’à la nuit (vers 18 heures). A l’époque le couvre-feu commencait à minuit. Des panneaux sur le toit des taxis indiquaient leurs itinéraires, mais dès le début des années 1990 les panneaux ont disparus.
Vers le même moment les voitures ont cessé d’être des taxis collectifs, pour se rapprocher d’une utilisation « à la course ». Cependant il n’est pas impossible de voir encore une utilisation mixte, avec un passager qui demande une direction, et d’autres qui se rajoutent.
Attraper un taxi aux heures d’ouverture et de fermeture des bureaux est laborieux. Le reste de la journée c’est plus facile. Au terminus on attend que le taxi soit plein pour partir. Au cours du trajet le taxi se vide et se remplit. Il peut s’arrêter dans des stations intermédiaires et attendre d’être plein pour repartir. Une question de chance...
Les enfants ne payent pas, et se mettent sur les genoux des adultes lorsque le taxi est plein. Si un adulte seul est accompagné de deux enfants, une personne se propose souvent spontanément pour en prendre un. Avec mes deux enfants j’ai l’habitude de payer deux places pour trois, mais il m’est arrivé plusieurs fois qu’une dame, indignée de cette gabegie ou soucieuse de protéger le "farenj" contre la rapacité des taxis, prenne d’autorité un des enfants sur ses genoux pour m’économiser le prix du billet.
Même si les itinéraires ne sont plus imposés, il existe des lignes de fait. Elle peuvent être très courte (la plus petite que je connais va de l’église Amanel à Sabategna dans le merkato), ou très longue (d’Autobus tera à l’aéroport de Bole, par exemple). A chaque extrêmité se trouve un terminus où les taxis font la queue pour repartir dans l’ordre de leur arrivée. Durant cette attente on entretient les voitures, on se restaure, et surtout on discute des tactiques rentables et des dernières nouvelles.

Les gens des taxis
Le premier personnage d’un taxi est son chauffeur (les Ethiopiens utilisent le mot français, un reste du chemin de fer franco-éthiopien). C’est lui qui en est responsable vis à vis du propriétaire. C’est un véritable entrepreneur, qui embauche son assistant si besoin, gère le budget, négocie avec les autorités et entretient son outil de travail. Il est salarié et aussi rémunéré sur la recette. Un chauffeur est normallement payé 300 birrs par mois, plus 30 birrs par jour travaillé. Il doit être titulaire d’un permis de conduire de troisième catégorie.
Sur les wiyiyit et les minibus un personnage indispensable est le woyala. C’est lui qui hèle les clients lorsqu’il reste de la place, sortant son corps du taxi au mépris du danger. Sur les wiyiyit il s’assoit sur un siège aménagé sur la porte. Dans les minibus il se met comme il peut, souvent sur le passage de roues. Il est payé environ 15 birrs par jour.

Une station de taxi

Ce sont les personnages permanents. Mais beaucoup d’autres gravitent autour de l’économie-taxi. Le tera askebari, responsable d’une station terminus, qui s’occupe d’organiser le départ des taxis dans l’ordre d’arrivée, essayant de contrôler la resquille. Il est identifié par l’administration, qui leur a fourni récement des gilets verts, mais je ne sais comment ils sont choisis. Il sont taxés. Chaque taxi paye deux birrs par jour pour utiliser le terminus de 6 heure à 18 heure. Ensuite, dns la folie du soir où les lignes n’existent plus vraiment, chaque passage coûte 50 centimes.
Le yeweyala asmway, qui s’occupe de remplir le taxi au terminus, pendant que le chauffeur se restaure ou organise une opération quelconque. Il est rémunéré 50 centimes pour un remplissage. Souvent, pour aider au début du remplissage, faire croire que le taxi est plein et va donc bientôt partir, de faux passagers attendent, qui s’éclipsent ensuite. Sont-ils rémunérés ?
Ensuite l’on trouve les changeurs, qui vendent de la monnaie (zirzir), à 5% (95 centimes en monnaie pour 1 birr, ou 9,5 birrs pour un billet de 10 birrs). Ils sont alimentés en pièces par les mendiants et les vendeurs de mouchoirs, cigarettes et bonbons. Il existe certainement une organisation de tout ce petit monde, avec des exploiteurs, mais je ne suis pas allé aussi loin. En tout cas il existe certainement des réseaux de mendiants. Il y a peu on voyait encore à Addis des enfants aux jambes détruites par la poliomélite, qui a disparu des villes depuis longtemps. Ce sont donc des réseaux qui les amènent de la campagne profonde et les exploitent. Quel est le prix d’un enfant sans jambes ?

Un wiyiyit

N’oublions pas les policiers, dits trafik (de traffic police en anglais), en charge de la circulation et du contrôle des règles du code de la route. Ce sont aussi eux qui ont pour mission de réguler la circulation des taxis prêts à beaucoup pour gagner du temps. Ainsi depuis quelques années il est interdit de faire descendre ou monter des passagers si l’on est au milieu de la rue, il faut aller jusqu’au trottoir, souvent inaccessible. De même pour le nombre de passagers. Parfois, pour un court trajet, un douxième est chargé, le woyala s’allonge par terre pour que les policiers ne repèrent pas la fraude. Lorsqu’un policier arrête un taxi, ce qui est rare, les passagers descendent, et une longue discussion s’engage. Je n’ai pas entendu parler de coruption, mais les liens sont en fait étroits entre des chauffeurs qui sont tous les jours sur les mêmes itinéraires, et des policiers en faction à des endroits fixes. Le contrôle ressemble plus à un jeu qu’à une véritable sanction.

L’économie taxi
Actuellement (2004) un minibus, importé et aménagé, coûte environ 120 000 birrs (12 000 euros). Au bout de 4 ans, bien exploité, il a rapporté son prix d’achat, et peut être revendu 80 000 birrs.

Un taxi Fiat

Les recettes d’un taxi collectif sont mesurables. Elles dépendent des lignes, mais prenons par exemple Merkato-Bole. Le trajet total coûte 2 birrs par personne. Avec 11 passagers, cela fait 22 birrs de recette par trajet, plus quelques suppléments, comme les bagages. On peut espérer faire une quinzaine de trajets dans la journée, soit environ 300 birrs de recettes.
L’exploitation quotidienne d’un taxi peut se chiffrer de la façon suivante, pour 300 birrs de recettes, les dépenses sont :
 150 birrs de redevance au propriétaire, qui fourni le taxi et paye les réparations.
 100 birrs de frais d’exploitation : essence, repas, contributions...
 30 birrs de rémunération du chauffeur.
 15 birrs de rémunération du woyala.
 5 birrs de lavage.
L’objectif du chauffeur est donc de faire plus de 300 birrs de recettes, pour dissimuler l’excédent et augmenter sa rémunération. De même le woyala essayera de dissimuler les petits suppléments qu’il touche par ci par là.
Cependant il n’est pas toujours possible de faire les 15 trajets quotidiens, ni de remplir son taxi tout du long. Hors des heures de pointe l’offre de taxi excède la demande, et la concurence est rude.
Une des clés du succès est la période qui s’étend entre 18 et 22 heures. Là il n’existe plus de lignes régulières. Les taxis qui restent sont des corsaires, à la recherche de la meilleure opportunité : sortie de stade, de théâtre, cérémonie religieuse...

Conclusion
Il existe bien une « économie-taxi », avec ses capitalistes, ses travailleurs, ses sous-traitants... et ses clients.
A la fin des années ’90 on a vu apparaître des embryons de compagnies de taxi, identifiées par une décoration, mais il semble que cette tentative ait tourné court car l’on n’en voit plus.

Un wiyiyit

Un taxi fait partie des placements de la bourgeoisie d’Addis. Les chauffeurs se recrutent par relation, car la confiance est indispensable dans ce contrat qui ressemble au metayage. Cette économie reste informelle : il n’existe ni contrat de travail, ni contrôle des recettes, ni taxes d’exploitation. L’Etat ne touche qu’une taxe fixe par véhicule, et profite par contre du service public ainsi rendu.
Du point de vue des entrepreneurs, et des chauffeurs, il s’agit d’un véritable capitalisme sauvage, d’opportunité, une course pour le profit régulée principalement par la nécessité de revenir chaque jour sur les même lieux, et donc de gagner le respect des autres acteurs.
L’importance des taxis collectifs est telle dans la vie quotidienne, que toute modification des règles a des répercussions importantes, y compris politiques.

Simon Imbert-Vier, 2004

Accueil • Réalisé avec Spip • © 2024 • Hébergement Ouvaton